Nous soutenir

stories

Eugénie Beziat

Restaurant :

La Flibuste à Nice

Ce que je préfère comme...

ustensile :

Un mortier pour piler !

ingrédient :

Une épice ou une plante, « quelque chose qui apporte du parfum et de la saveur »

mon menu idéal entre amis :

Un poulet yassa

partenaires "des étoiles et des femmes" depuis :

2017

L'engagement d'une cheffe

Être une femme en cuisine c’est l’avenir. Il faut qu’elles reviennent les femmes en cuisine car ça a commencé comme ça il me semble, avec les mères lyonnaises.

Eugénie, je sais que je vous appelle lors d’une semaine très chargée et je vous remercie de partager un moment avec nous ! Dernière ligne droite avant votre entrée au Ritz à Paris, pouvez-vous nous parler de ce nouveau départ ? 

La cuisine c’est beaucoup de culture et d’histoire. Le Ritz rime avec César Ritz et Auguste Escoffier.  Actuellement je suis à La Flibuste à Villeneuve-Loubet, ville de naissance d’Auguste Escoffier, je suis les traces de cet immense cuisinier. Je vais rentrer dans une maison qui a plus de cent ans d’histoire, dans le lieu même où tout a commencé : la gastronomie et l’hôtellerie de luxe.  Comment refuser une telle offre quand on est passionnée et qu’on rêve de cela, c’est une chance qui ne se présente pas deux fois dans une vie. Évidemment pour en arriver là, il y a eu beaucoup d’années de travail et d’abnégation, ce n’est pas tombé du ciel et c’est une véritable récompense. C’est le plus beau cadeau que l’on puisse me faire, c’est un honneur. C’est aussi une exposition mondiale, je vais représenter la gastronomie française.

Marlène, une ancienne stagiaire « Des étoiles et des femmes » m’a dit qu’apprendre ce métier lui avait permis de reprendre confiance en elle. Diriez-vous que le métier de cuisinier apporte une certaine estime de soi ? 

Dans notre métier, tous les jours, le but premier est de donner du plaisir. Si le client a pris du plaisir, s’il a ressenti des émotions et qu’il est heureux d’avoir mangé cela donne confiance en soi. Manger c’est le premier acte de l’homme. Quand on réussit un plat nous sommes heureux et les stagiaires « Des étoiles et des femmes », à leur échelle aussi ressentent la même chose. Elles ont des fiches techniques, des fiches de progression et souvent nous mangeons des plats qu’elles préparent, elles participent tout autant que nous à la vie de l’entreprise et ça c’est du concret. Le concret, ça aide à avancer. Elles constatent qu’elles y arrivent.

Si j’avais un conseil à donner à une future diplômée ? S’accrocher. Ne jamais abandonner. Combattre. Je n’ai pas leur situation sociale, familiale ou économique mais j’ai aussi failli laisser tomber plusieurs fois. Tout est possible quand on y croit et qu’on a la volonté.

Dites-nous quelques mots sur les expériences partagées avec les stagiaires de l’association. 

Tout d’abord, elles sont très bien accueillies par mon équipe. Nous sommes trois et ils connaissent ma philosophie par rapport à ça. Je leur explique que c’est très important. En tant que cheffe, je n’ai pas beaucoup de temps mais je suis très concernée par les actions solidaires et si je le pouvais, je ferais plus. Une cuisine c’est un lieu où les gens ont une énergie commune donc nous avons la même façon de penser. Nous encourageons beaucoup les stagiaires. Nous avons eu différents profils, je peux évoquer une jeune femme d’une vingtaine d’années extrêmement motivée, qui a pris le train en route et qui s’en sort très bien. Aujourd’hui elle a trouvé un emploi avec un chef que je connais. Parfois, c’est plus compliqué car elles n’ont pas eu la chance de suivre le parcours scolaire habituel et pour évoluer en cuisine il faut pouvoir écrire des courriers, calculer, avoir des bases en culture générale … Le cliché du cuisinier comme étant une voie de garage, c’est fini ! Rien n’est cloisonné, tout dans la vie sert à notre métier. Je fais de la cuisine mais je ne fais pas que de la cuisine, il faut être une éponge à ce qui nous entoure.

Puis, lorsque c’est possible, je garde des liens avec certaines des anciennes stagiaires, par exemple avec une femme originaire d’Afrique. Moi-même je suis née au Gabon et j’ai grandi jusque mes 18 ans sur ce continent. Je suis attachée à elle professionnellement, je la suivrais tout au long de son parcours et s’il faut donner un coup de fil pour l’encourager je le ferai. Si ces femmes gagnent 600 euros par mois, qu’elles ont une trentaine d’années avec un enfant, c’est très difficile. Seulement, une fois qu’elles ont un diplôme, qu’elles mettent le pied en entreprise, elles sont aptes à se présenter en restauration commerciale ou collective. Cela ouvre énormément de débouchés. De plus, dans ce métier, on manque cruellement de personnel, « Des étoiles et des femmes » c’est vraiment une initiative formidable.

L’Afrique fait partie de moi. Mon choix d’ingrédients, les épices, les plantes … ça vient de là aussi. Je me sens métissée dans l’âme et dans ma cuisine.

Lorsque vous êtes arrivée à La Flibuste, votre patron de l’époque collaborait déjà avec « Des étoiles et des femmes ». Pourquoi avoir continué une fois avoir repris le flambeau ? 

J’ai connu l’association par Nathalie Moya via le Greta du lycée hôtelier de Nice.

J’ai continué par envie de transmission et d’aide à la réinsertion. Je pense que nous avons le droit d’avoir une deuxième chance dans la vie, parfois nous n’en avons pas eu une tout court donc, en effet c’est un métier qui permet de vite évoluer sur le terrain. Je n’ai pas le même passé que ces dames mais j’ai saisi ma chance en cuisine bien tard. J’ai commencé à 24 ans après être passée par le Greta et un BTS en alternance. Lors d’une réunion j’ai dit aux stagiaires que je n’avais pas suivi le parcours habituel des jeunes cuisiniers mais quand on veut on peut. C’est facile à dire mais il faut croire en leurs rêves, en nos rêves. Cette association est là pour donner ces moyens-là et si nous nous accrochons, des choses sont possibles avec de l’aide et de la passion.

 

Diriez-vous que l’acte de cuisiner est politique ? 

Bien sûr ! En tant que cuisiniers nous sommes citoyens. C’est un acte civique de choisir les fournisseurs et les producteurs avec lesquels on travaille. Je travaille le plus possible en local. C’est primordial lorsque l’on voit l’état de la planète et l’avenir qui se profile.

Il existe un tissu humain fondamental autour de notre métier, j’ai créé un lien exceptionnel avec les producteurs. Cuisiner ce n’est pas que faire rentrer des denrées. Tous les jours, j’explique à mon équipe qu’il faut se remettre en question et que rien n’est jamais acquis. Il y a une starification autour du métier de chef.f.e de cuisine mais il faut se rappeler que ce ne sont que des assiettes, nous n’avons pas la prétention de sauver le monde, il faut savoir rester humble.

 

Et justement au moment d’envoyer les assiettes aux clients, que ressentez-vous ? 

Je prends du recul. Il faut garder son sang-froid parce que le but est de rendre serein son équipe. Il ne faut surtout pas communiquer d’énergie négative, nous sommes capitaine de bateau et il faut emmener tout le monde à bon port.

interviewé par : KENZA BERRADA