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Rencontre avec :
Ursulla Médaille

CAP cuisine obtenu En 2019 à Bordeaux

Son plat préféré :

Tous les plats à base de manioc !

Poste actuel :

Fondatrice de Cayenne en balade traiteur à Bordeaux

Ursula, que faisais-tu avant de te former au métier de cuisinière ?

À l’âge de 18 ans, j’ai dû fuir la Centre-Afrique à cause de la guerre qui sévissait sur place. En 2002, j’ai atterri à Bordeaux, grâce à la nationalité française de mon père qui était antillais. Je me suis retrouvée seule dans un petit studio dans une ville que je ne connaissais pas et c’était vraiment dur de passer d’une ambiance familiale et joyeuse où nous étions 12 enfants au vide. Heureusement mes parents et mes petites sœurs m’ont ensuite rejoints. À 25 ans, j’ai eu un baccalauréat professionnel « accueil » et par la suite j’ai travaillé 12 ans comme agent de sureté aéroportuaire à l’aéroport de Mérignac puis comme agent de sécurité pour des châteaux, des zones industrielles, des festivals … j’aimais mon métier jusqu’au jour où j’ai commencé à me lever le matin avec une boule au ventre. Entre temps, j’ai eu 4 enfants dont des jumelles et je me suis séparée de leur père depuis.

« Si je devais donner un conseil à une femme qui hésiterait à faire la formation ? ça serait de penser à elle, pour elle, commencer par s’aimer soi-même et accomplir quelque chose dont elle puisse être fière. »

Tu m’as dit avoir vécu des moments difficiles et que tu aimerais que ton témoignage puisse servir à d’autres femmes …

Oui … J’ai traversé une période très difficile dans ma vie privée, mais j’ai tenu bon et je suis allée jusqu’au bout. Dans la situation dans laquelle j’étais, d’autres se seraient peut-être suicidées ou fait internées, parce-qu’on n’ose pas parler. En 2018, pendant mon année de formation au CAP, il m’arrivait de ne pas aller en cours tellement j’étais mal; je n’ai d’ailleurs pu faire que 4 semaines de stage à cause des difficultés que je rencontrais. Mes journées étaient très remplies: je me levais à 5h du matin pour déposer mes 3 aînés chez mes parents et le plus jeune chez la nounou, le soir après les embouteillages, je cuisinais, je m’occupais des devoirs des enfants et enfin j’apprenais mes leçons du CAP. J’ai tenu bon pendant un an et demi… et malgré mes problèmes, j’ai pu réussir mon diplôme, éduquer mes enfants, avoir un lien privilégié avec eux, perdre 28 kg et lancer mon entreprise. Je pourrais dire qu’apprendre ce métier m’a apporté la confiance en moi et m’a prouvé de quoi j’étais capable. Ma force vient de Dieu aussi car sans lui je ne serai pas de ce monde.

Si je devais donner un conseil à une femme qui hésiterait à faire la formation ? ça serait de penser à elle, pour elle, commencer par s’aimer soi-même et accomplir quelque chose dont elle puisse être fière.

D’où t’es venue cette passion pour la cuisine et comment « Des Étoiles et des femmes » t’a accompagné dans la réalisation de ton projet ?

En Centre-Afrique, j’ai commencé à cuisiner à l’âge de 10 ans les week-ends car la semaine, des employés de maison s’en occupaient. On était une famille recomposée de plusieurs enfants, les garçons allaient au marché et les filles se chargeaient des plats à tour de rôle. Je garde encore l’odeur des feuilles de manioc … Ma mère et mon père m’ont transmis leurs secrets, mon père m’a appris à faire le punch coco qui fait encore fureur aujourd’hui pendant les fêtes. Chez nous on aime recevoir et cuisiner pour beaucoup de monde.

Mais c’est en France que j’ai réellement appris le métier de cheffe. Au départ, les gens de mon cercle familial et amical me contactaient pour préparer des repas, des boissons… et je le faisais gratuitement. Ma cousine m’a encouragée à le faire de façon professionnelle. Je pensais que je pouvais ouvrir mon restaurant sans diplôme mais j’ai vite compris que c’était obligatoire et c’est pôle emploi qui m’a orienté vers des « Étoiles et des femmes ». Sur 180 candidates, 80 sont restées puis 18 puis 12.

À l’époque je me disais que j’avais tout pour ne pas être sélectionnée : séparée, 4 enfants, sans crèche pour le petit mais je pense que c’est ma détermination, ma joie de vivre et mon organisation qui a convaincu le jury. Pendant la formation, les encadrants étaient très à l’écoute, ils m’ont aidé pour la garde de mon enfant, les frais d’essence, les papiers de la Caf … et notre groupe était très soudé. J’ai eu la chance de faire mon stage à la brasserie du Gabriel avec un chef toujours de bonne humeur, pédagogue et je garde aujourd’hui toujours des liens avec l’équipe.
Mon projet initial était donc d’ouvrir mon établissement afro-caribéen en apportant des touches européennes mais à la suite de ma formation j’ai travaillé en restauration collective et les horaires étaient trop contraignants. Avoir son restaurant c’est y être non-stop et mes enfants sont encore trop petits, je ne peux pas leur infliger ça, c’est ce qui m’a poussé à monter ma propre entreprise de traiteur à domicile.

« On peut être une femme et être en cuisine tout en mettant une bonne ambiance! Quand j’arrive dans un endroit j’amène un paquet de joie, je suis toujours souriante, j’ai toujours la pêche! »

Tu as fondé Cayenne en balade traiteur à Bordeaux et ses environs, peux-tu nous parler des avantages et des inconvénients à être auto-entrepreneuse ?

En juillet 2019, j’ai obtenu mon diplôme et grâce à une amie d’enfance spécialiste en accompagnement d’entrepreneurs, je me suis lancée. Je voulais disposer de mon temps et être libre. Cette amie m’aide aussi sur la communication, la gestion administrative et le PLIE (Plan local pour l’insertion et l’emploi) me conseille sur le business plan. J’ai déjà mon site internet qui permet aux gens de commander et d’avoir une idée de tous les plats que je propose.
Je cuisine de chez moi pour des particuliers, la plupart du temps seule, mais pour des grandes occasions, type mariages ou baptêmes, je demande à ma mère et à mes petites sœurs de mettre la main à la patte. Je livre à domicile dans la région de Cenon, proche de Bordeaux, mais aussi sur Bordeaux, j’ai même fourni « La Table de Cana » pendant 4 semaines. Malheureusement avec le confinement, tous les événements ont été annulés et j’ai perdu beaucoup de chiffres d’affaires. Pendant les premiers mois, j’ai fait des erreurs, les gens commandaient, j’achetais à l’avance les produits frais et à la dernière minute, ils annulaient la commande ou voulaient la modifier, je perdais de l’argent. Aujourd’hui, je donne un tarif fixe et je demande un acompte.
Quelles que soient les difficultés, je suis une battante qui ne baisse pas les bras et qui va au bout de ce qu’elle a commencé.

Et dans 10 ans, comment t’imagines-tu ?

Je me vois à la tête de plusieurs Cayenne en balade en France ou à l’étranger. J’aimerais monter une association pour aider les femmes qui traversent des moments difficiles ou qui n’ont pas confiance en elles à s’en sortir. J’aimerai aussi former d’autres personnes, valoriser la cuisine africaine et concevoir un carnet de recettes.
Actuellement, je me concentre surtout sur un grand concours de cuisine africaine, Best chef Africa . Nous sommes 12 chef·f.e·s à avoir été sélectionné·e·s pour participer à une émission web et télévisuelle, et si je gagne, je recevrais – entre autre – un label qui complétera mon CV !

Interview par Kenza Berrada C