Je m’appelle Aminati Halidane, j’ai 49 ans, j’ai grandi à la Réunion et mon signe astrologique est verseau. Les verseaux, nous sommes des amours, nous prenons sur nous et surtout nous respectons beaucoup les autres mais … il ne faut pas nous titiller.
À la Réunion, c’est l’odeur qui t’attire en cuisine et ça me rendait curieuse d’observer ce que mon grand-père faisait aux fourneaux. Tout a commencé avec mon grand-père et son cari poulet, j’ai encore le goût en bouche ! J’ai hérité de son savoir-faire et j’ai tout appris à ses côtés. En fait, j’ai vraiment commencé à cuisiner en 5ème. Mon grand-père m’a lancé un défi. Il m’a demandé de faire un rougail sardines, et si celui-ci était réussi, il m’autoriserait à préparer un repas entier de temps en temps. J’ai passé le test avec succès et j’ai eu le droit de l’assister.
J’ai arrêté l’école en troisième et je suis directement rentrée dans la vie active. Je travaillais au sein des cantines scolaires entre Sainte-Clothilde et Saint-Denis de La Réunion. En 1996, le père de mes enfants a voulu venir à Marseille. Là, je me suis occupée de mes trois fils âgés de 15, 19 et 22 ans aujourd’hui. Au moment de la séparation avec leur père, je me suis dit que je ne pouvais pas rester sans emploi.
« Je me suis dit qu’est-ce que je fous là ? il faut que je me lève. J’ai commencé à chercher, chercher et c’est là que j’ai connu des Étoiles et des femmes. »
Au centre social de la Castellane, la personne en charge de l’accompagnement au retour à l’emploi m’a aidé à refaire mon CV et m’a parlé de la Table de Cana. J’ai été à la réunion d’information, j’ai rempli les fiches de renseignements, puis j’ai passé les examens et le concours.
Au moment du concours, j’ai passé le premier tour puis le deuxième, je me suis dit « ouaou ! » Il restait l’examen oral devant le jury. La veille je n’ai pas dormi. Ils étaient trois devant moi et m’ont dit « allez-y on vous écoute ». Parmi les vingt candidates, il leur fallait choisir les douze petites étoiles. Puis j’ai eu un coup de fil m’annonçant que j’avais réussi le troisième tour, « ouaou ouaou !! »
J’ai commencé les cours au lycée hôtelier Bonneveine. Je me demandais comment j’allais faire alors que j’avais quitté l’école depuis si longtemps. J’ai engagé quelqu’un qui m’aidait pour les mathématiques, le français (j’ai toujours des mots en réunionnais qui sortent !), l’anglais, l’histoire géographie … Au premier examen d’anglais, j’ai eu 14/20, ça m’a marqué !
Pas question d’aller au lycée en baskets ou en jean, des « Étoiles et des femmes » nous a fourni les tenues de travail (on devait acheter des chaussures de ville), la mallette de couteaux qui coûte chère, de gros livres de recettes et notre coordinatrice était toujours là pour nous. Les chefs Jérôme Malassagne et Frédéric Umidian nous ont aussi beaucoup aidé.
Mes fils m’aidaient à porter la lourde mallette de couteaux de la maison jusqu’au bus qui m’amenait au lycée puis tous les vendredis soir, ils venaient me chercher au lycée pour rapporter la mallette.
« Mes fils me disaient « Maman, ne lâche pas ! »
Je voulais juste avoir du travail et m’en sortir dans la vie parce-que ça faisait très longtemps que je n’avais pas travaillé. Ouvrir son propre restaurant c’est difficile !
On était censés cuisiner dans un voilier au milieu de vingt-trois autres voiliers ! Parce-que j’ai peur de la mer et ce jour-là, la mer était très agitée. Au final, le chef a été tellement malade que nous n’avons pas fait un seul plat ! Après cette expérience, je me suis dit : « si je suis arrivée à aller sur ce voilier pour faire la traversée Marseille-Cassis, je suis guérie, je n’ai plus peur de personne, j’avance dans la vie. »
Le jour où j’ai franchi la porte de la Friche, j’ai pensé « c’est beau, c’est comme chez moi à la Réunion avec toutes ces couleurs ! » Je pensais que c’était un restaurant « chichipanpan » et en fait c’est simple, je me suis dit : j’espère qu’un jour je travaillerais ici.
Au lycée, nous avons surtout appris la cuisine gastronomique mais aux Grandes Tables de la Friche c’est comme à la maison. Au départ, j’avais peur, j’étais stressée, timide et le chef m’a très vite mis à l’aise. L’ambiance en cuisine était parfaite et l’équipe m’a adoptée. J’étais la première stagiaire des « Étoiles et des femmes » que le chef a eu dans sa cuisine. J’avais du mal à répondre : oui chef ! mais c’est venu avec le temps. J’ai commencé aux entrées, et au bout de neuf mois il m’a demandé d’exécuter de A à Z trois de mes propres recettes de plats réunionnais pour les mettre à la carte du restaurant.
Le jour de l’examen final, il fallait présenter une recette du restaurant au jury du CAP. Aux Grandes Tables, ils faisaient le rougail saucisses alors j’ai proposé deux façons de le cuisiner : celle de la Réunion et celle de la Friche. À la Réunion, on fait bouillir les saucisses et à la friche, ils les font au four. Je préfère bouilli, la saucisse est plus tendre, le jury aussi a adoré.
Le jour de la remise de diplôme j’étais avec le chef Laurent et lorsqu’ils ont appelé : « Cheffe Aminati Halidane », je me suis dit « ouaou je suis cheffe ? je suis cheffe ! on est comme des stars ! » Mes enfants étaient là, j’étais très émue. Dès que j’ai obtenu mon diplôme, la Friche m’a proposé un poste de cheffe à la crèche associative. Je suis seule en cuisine pour une cinquantaine d’enfants : de bébé à deux ans. Les plats changent tous les jours avec des produits de saison et locaux. Ici on n’a pas les 3 étoiles mais les 3 carottes ( la plus haute distinction en restauration collective, qui félicite une cuisine bio, locale et durable!)
Je suis ici du lundi au vendredi, je pars de chez moi à 6h50, j’arrive ici une heure plus tard et je commence à 8h. Chef Laurent m’a appris à être en avance et travailler vite. Tous les matins, les enfants me demandent le menu du jour. Aujourd’hui, c’était salade de chou rouge, poulet a la crème avec des gnocchis et poires et de la soupe de légumes pour les bébés. Je mets toujours une petite touche réunionnaise quand même mais sans épices. À la fin, je questionne les enfants, s’ils ont aimé leur repas, comment je peux améliorer … j’adore voir les petits contents après avoir mangé. Pour compléter mes heures, je travaille aussi un à deux soirs par semaine en cuisine aux Grandes Tables de la Friche.
À l’écoute et avoir l’œil. Surtout au moment du service, si tu es sur quelque chose il faut écouter ce qui se passe de l’autre côté de la cuisine. Il faut réfléchir aussi. Par exemple, pour les menus de la crèche, je les étudie la veille et j’y pense dans le bus.
Le stress, ohlala ! Le chef crie au moment du service : « tout le monde à l’attaque, il est midi, vous êtes prêts ? on envoie ! » Au début je courais vite de partout, ensuite je me suis dit : pourquoi je cours ? petit à petit c’est devenu un plaisir, j’ai commencé à avoir mon rythme et c’est devenu excitant.
Beaucoup de joie, de confiance et de savoir-faire. J’ai toujours cuisiné mais j’ai surtout appris avec les autres.
J’ai été parler avec des femmes du centre social de mon quartier, à la Castellane. Au début, je leur dis que nous aussi on avait peur mais qu’une fois dedans, c’est trop beau !